Kreisleriana ou les heures lucides d’un musicien fou

« Kreisler est un personnage créé par Hoffmann, excentrique et extravagant. Vous prendrez maint plaisir à cette figure. » (Robert Schumann)

« De tout cela, c’est la pièce Kreisleriana que je préfère. Kreisler est un personnage créé par E.T.A. Hoffmann, un Maître de musique plein d’esprit, excentrique et extravagant. Vous prendrez maint plaisir à cette figure. »
Voici donc la figure qui inspira Robert Schumann (1810-1856) dans son cycle de huit fantaisies pour piano, opérant ainsi une vision musicale du personnage.
« Ses amis ont soutenu que la nature, en créant son organisme, a voulu faire l'essai d'une nouvelle formule. »
Johannès Kreisler représente l'archétype de l’être romantique, personnage central du livre d'Hoffmann Fantaisies dans la manière de Callot. Le livre est édité au cours des années 1810 et ouvre de manière fulgurante l’ensemble des fameux contes qui donneront la célébrité à Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822). Lui-même compositeur, le personnage Johannès Kreisler en est assurément son plus proche portrait, son double imaginaire.
« Parfois, il composait pendant la nuit dans un état des plus exaltés, il s’estimait lui-même le plus heureux des hommes. »
Schumann y trouvera l’élan à sa plus géniale inspiration. Et comment en douter quand, en cette année 1838, éperduement amoureux de Clara, il est cependant cruellement écarté par un père farouchement opposé à cette liaison et à la demande en mariage toute fraîchement annoncée. La figure emportée de Kreisler trouve chez Schumann le plus authentique écho à ses propres sentiments.
« Tu fais de moi un phraseur et un adolescent énamouré – Je ne sais pas ce que tout cela va donner. Mais Clara, toute cette musique que j’ai maintenant en moi et toutes ces belles mélodies toujours je veux te les dédier – oui, à toi et à personne d’autre. »
Telle une musique improvisée les pièces tour à tour reflètent de manière saisissante les sensations animées et changeantes de l’instant. Fantastiques, burlesques, violentes ou rêveuses, fulgurantes et passionnées, la richesse de caractère de ces huit fantaisies est l’écho même de la représentation que se fait Hoffmann à travers son personnage de la sensibilité artistique et de sa condition.
« L'équilibre est absolument nécessaire à l'artiste pour vivre en société, pour imaginer des œuvres qui répondent aux vœux du monde. »
Une littérature qui se veut étourdissante et gorgée d’élans, de forces créatives, de jeux et de glissements entre rêve et réalité, un éclat fulgurant et emporté des plus vives passions.
Il est aisé d’alterner le texte d’Hoffmann à la musique de Schumann sous l’oeil de l’étrange et mystérieux tableau Le voyageur au dessus d’une mer de brumes de Caspar David Friedrich (1774-1840), opérer par la mise en regard de ces différents discours le mariage et la complémentarité des chefs-d’œuvre de l’éclatant mouvement romantique allemand; terre des sentiments, des visions et des rêves, de l'expérience et du merveilleux, de la contemplation de la nature humaine et de la Nature elle-même.